
Au début de cette nouvelle saison de Parlons Canna, un avocat de renom dans le milieu du CBD nous fait l’honneur de nous accorder une interview inédite. Il s’agit de Maître Xavier Pizarro, fervent défenseur du CBD, qui a conduit Kanavape à la victoire après sept années de combat judiciaire. Nous aborderons avec lui les dossiers chauds bouillants relatifs au CBD qu’il a défendu jusqu’ici. Ensuite, nous parlerons d’un sujet pour lequel les débats font rage, la conduite sous CBD. Nous nous intéresserons aussi aux allégations de santé, au futur du CBD et au HHC. Mais avant, faisons plus ample connaissance avec notre invité. Allons-y!
Hormis la casquette d’avocat, parles-nous de toi
Me Pizarro est un avocat compétent en droit pénal, en droit de la presse, et en droit douanier. Il a fait des études sur Paris, Marseille et la faculté de Madrid. En 2021, il est sacré parmi les lauréats du barreau de Marseille. Il s’agit d’une institution bicentenaire qui récompense chaque année des avocats à l’issue d’un concours d’éloquence. C’est une forte tradition dans les barreaux français. Tous les ans, les jeunes avocats qui ont moins de 4 ou 5 ans de barre s’affrontent à plaider sur des sujets un peu drôles et spirituels. Par exemple, le diable a-t-il eu une enfance heureuse? Le bâtonnier doit-il user de son bâton?,…
Me Pizarro est aussi à l’UPCBD avec Mathieu Bersot et Charles Morel. Il intervient pour l’union dans un certain nombre d’instances en cours.
Pour être honnête, aujourd’hui, à part le Xavier avocat, il ne reste pas grand-chose, dit-il. Il n’y a que l’avocat du matin au soir, y compris le weekend. Je suis investi pour mes clients, pour la cause du CBD, et pour d’autres aussi”
Comment es-tu devenu avocat?
Selon lui, chacun de nous a un tempérament particulier qui peut nous destiner à certaines choses. Pour devenir avocat, il faut aimer travailler, prendre des coups et être un peu cinglé.
C’est un métier où on donne beaucoup de soi, où la frontière entre vie perso et ce que vous êtes est mince. Il cite:
Le métier d’avocat est fait pour les gens totalement investis voire excessifs. Je pense que je dois en faire partie. C’est naturellement que je me suis tourné comme ça. J’ai le beau rôle, on me fait l’honneur de me choisir pour défendre.
Comment es-tu devenu l’icône des avocats du CBD?
Me Pizarro ne se considère pas comme une icône. Selon lui, ses confrères ont aussi accompli des choses importantes avant lui, et d’autres prendront certainement la relève. Il pense par exemple au Professeur Francis Caballero, Julien Plouton et Nicolas Hachet, avocats au barreau de Bordeaux. Il cite:
Nous sommes une palanquée d’avocats qui sont montés au four dans ces dossiers-là. Je ne pense pas qu’il y a une icône, mais un tableau collectif.
Comment en est-tu arriver à plaider pour le CBD?

La vie est faite de rencontres. En effet, ce qui fait un avocat, ce sont ses clients, dit-il. Il a traité quelques dossiers emblématiques, qu’il a essayé de mener à bien avec ses idées juridiques, et la chance était de son côté. Par exemple, il s’est senti honoré lorsque Sébastien Béguerie lui a demandé de le défendre devant la Cour d’Appel, puis devant la Cour Européenne de Justice. Pour rappel, le résultat est l’arrêt fondateur de l’industrie du CBD. Deux jeunes marseillais, militants du cannabis et du CBD en sont les précurseurs. Il s’agit de Sébastien et de son associé de l’époque, Antonin Cohen. Avec des vues bien arrêtées, ils se sont dit qu’il n’y a aucune raison pour que les dérivés du chanvre ne puissent intégrer le marché comme les autres produits. En tant qu’entreprise humaine, ils ont essuyé tous les tirs du barrage du pouvoir public. Au final, et avec du recul, ils ont débouché sur la normalisation de certains produits du chanvre.
Pour l’anecdote, alors qu’il n’était pas encore avocat en 2013, Xavier déjeune avec Sébastien et Antonin dans une pizzeria. Les deux jeunes lui exposent leur projet de cannabis club à Marseille.
Je leur avais dit que ce qui peut vous sauver dans cette histoire, c’est un élément déclencheur de l’application du droit européen. J’avais dit ça à la cantonade, et pourtant c’est ce qui s’est passé.
Un autre dossier emblématique sur le CBD à nous partager?
Le second dossier est certainement le plus utile et le plus récent. Me Pizarro n’en est pas le seul artisan. Il est allé au front avec Charles, Mathieu et toute une équipe pour faire un référé liberté, chose qu’on leur avait déconseillé de faire.
Tout le monde nous a dit qu’on allait se planter, et effectivement il y a eu l’audience du Conseil d’Etat et la suspension de l’arrêté. C’est un dossier sur lequel nous sommes fortement intervenus. L’interdiction des fleurs a duré un petit peu moins de 40 jours et c’est toujours en cours. Nous avons obtenu la suspension, mais il reste le débat sur l’annulation du texte.
Avec qui avez-vous réussi à régler la problématique de l’interdiction de la vente des fleurs de CBD aussi rapidement?
L’UPCBD les a mandatés, avec Yann Biziou, juriste spécialisé en droit de la drogue, pour introduire sur le cours. La bonne nouvelle, c’est que l’industrie du cannabis et du CBD est devenue une chose importante. Tout le monde voulait en être. Ils étaient une dizaine d’avocats et des acteurs de toutes les tailles, allant des petites boutiques aux gros distributeurs.
Me Pizarro poursuit :
C’est important de souligner l’UPCBD dans ces moments-là, parce que sans cette organisation qui permet de regrouper et de financer tous ces talents, le marché peut s’écrouler. Aujourd’hui, l’union est ouverte aux professionnels, et d’autres personnes qui souhaitent y adhérer pour rendre la branche encore plus forte… Quand une filière arrive à un certain point de maturité, elle s’organise, se dote d’organes représentatifs et de moyens pour défendre son périmètre. Il y a quelques années, il n’y avait que de petites structures et des acteurs isolés qui se battaient. Aujourd’hui, on s’y met à plusieurs pour défendre l’intérêt collectif. Quand on travaille en groupe, on a plus de moyens que quand on travaille tout seul dans son coin.
Pourquoi ce conflit incessant entre la France et l’Europe? Pourquoi la France n’adhère-t-elle pas au CBD?
La France a un pouvoir historique, très affirmé, et pas que dans le domaine du CBD. Il y a d’un côté cette espèce de conflit interne, et d’un autre côté la volonté d’exacerber son particularisme. Prenons un exemple emblématique, celui du juge judiciaire parquet. Dans toute l’Europe, on considère que les représentants du parquets doivent être indépendants. En France, force est de constater qu’ils vont vers l’indépendance, mais nos juges ne sont pas qualifiés d’indépendants et impartiaux par les Cours Européennes. D’ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France en estimant que son parquet n’est pas indépendant et ne présente pas les garanties d’une autorité judiciaire.
A l’instar de ce qui se passe là-dessus, il y a par exemple de fortes conceptions sur les drogues, héritées du temps de la guerre contre les drogues. On est partis d’un postulat moral, sur lequel on a développé un arsenal répressif. En revanche, la France a oublié d’intégrer les dizaines d’années de recul scientifiques, académiques et sociales qui ont changé dans les Etats ayant changé de politique. Au lieu de suivre le mouvement général, qui est important pour la compétitivité, nous restons dans une impasse. La France ne veut pas reconnaître son erreur, parce que ça la rendrait politiquement moins crédible.
Des exemples absurdes de dossier que tu as vus ou traités?
La conduite sous influence du CBD par exemple. Nous devons prendre un peu de recul pour voir comment nous sommes arrivés dans cette situation aberrante. Le problème de l’infraction de la conduite sous influence de stupéfiants date depuis une dizaine d’années. Au départ, cette infraction a été créée pour qualifier une personne ayant consommé une substance qui vient altérer son comportement et ses réflexes, de dangereuse au volant. Cette personne présente donc un risque, au nom duquel on va l’interdire. C’est la même chose pour la conduite en état d’ivresse. Un seuil est établi pour définir à quel taux une personne est plus accidentogène.
Cependant, au lieu de suivre ce raisonnement avec le cannabis, le législateur a décidé de mettre en place un seuil aberrant de 1 nanogramme. Ce qui fait que si aujourd’hui vous allez en voiture avec un ami qui fume un pétard, vous pouvez vous faire arrêter demain, parce que vous avez partagé le même habitacle que lui. En effet, il est tout à fait possible que vous soyez positif au test de dépistage salivaire. C’est tout simple a veut dire qu’il y a une décorrélation totale entre ce qui justifie l’interdiction et ce que détecte le test.
Parles-nous du problème du CDB et du permis de conduire

Selon Me Pizarro, la logique aurait été de quantifier les marqueurs qui permettent de dire à quel moment le cannabis a une influence sur la conduite. La littérature scientifique est un moyen de le faire, comme c’est le cas avec l’alcool. D’ailleurs, ajoute-t-il, le consensus scientifique à ce sujet est paradoxal. Figurez-vous que contrairement à l’alcool, une consommation légère de cannabis rend les usagers de la route moins accidentogènes.
NORML France a fait une excellente synthèse de la littérature scientifique sur la question, disponible sur leur site.
Ensuite, la question du dépistage et de l’instauration d’un seuil est un autre problème. En effet, nos voisins plus avancés sur le sujet ont réalisé l’existence d’une grande variation interindividuelle en termes de tolérance du cannabis. Ce qui fait que chaque individu peut assimiler la substance de manière différente. Certains sont parfaitement capables de conduire à des seuils très élevés. Pour faire le dépistage, ils ont donc utilisé les tests comportementaux. Avantages, c’est beaucoup moins cher et plus fiable. En effet, il n’y a pas de faux positifs comme avec les tests salivaires. Il faut savoir que ces derniers ne fonctionnent pas très bien. Dans leur pré-étude, un sur deux était foireux, d’où la possibilité de demander une contre-expertise sanguine. A noter qu’avant, cette contre-expertise était obligatoire, jusqu’en 2016. Depuis lors, la quasi-intégralité des condamnations sont basées sur les tests salivaires.
Toutefois, demander cette contre-expertise est dans votre bon droit. Seulement, il est facile de vous en dissuader parce que vous êtes un citoyen moyen qui croit en la justice, et que vous êtes en rapport d’infériorité face aux forces de l’ordre.
Qu’est-ce que tu conseilles?
Demandez systématiquement votre contre-expertise, et donc une prise de sang.
Avec ce qui se passe aujourd’hui, le simple fait de consommer du CDB la veille, augmente vos chances d’être positif au test salivaire à 99% le lendemain. Sans la contre-expertise, le juge ne pourra pas considérer que vous ne fumiez que du CBD, même si vous avancez des preuves comme des factures de CBD par exemple. En demandant une prise de sang, vous sortirez peut-être un taux insignifiant de 1 ou 2 nanogrammes. Votre argument aura de la valeur, et vous aurez la possibilité d’une relaxe, voire d’être innocenté.
Pour résumer le problème, nous avons un taux de check qui est tellement bas, que n’importe quel fumeur de CBD peut être positif, sans oublier que les tests ne fonctionnent pas bien. Le problème est le même qu’avec le testing des marchandises par les forces de police. Ils arrivent à détecter un taux supérieur à 0,2% dans 99% des cas, parce que la marge d’erreur est supérieure à ce qu’ils sont censés mesurer.
Quels sont les risques pour les personnes positives au test salivaire?
La conduite sous influence de stup est un contentieux de masse qui représente plus de 300 000 affaires par an. Pour Me Pizarro, ça va être un de ses dossiers chauds de l’année. ll explique :
Le problème est immédiat parce qu’avant même d’être entendu, vous avez une mesure administrative : retrait ou suspension du permis, jusqu’à l’intervention d’une audience pénale. Ça peut durer entre 2 et 12 mois. Le problème c’est que l’audience a lieu 8 mois après que vous ayez déjà purgé une peine de suspension.
Des propositions pour pallier ça ?
Encore une fois, Me Pizarro a été mandaté avec Yann Biziou par l’UPCBD pour pondre des écritures juridiques qui essaieraient des référés suspension. C’est un remake de ce qui s’est passé avec la suspension de la fleur de CBD, lorsqu’ils ont saisi le juge administratif et demandé de lever la suspension préventive du préfet. L’objectif est de faire en sorte qu’entre le moment de l’arrestation et du jugement, il n’y ait pas de suspension du permis de conduire. A l’heure actuelle, avec les argumentations qu’il a développées avec ses confrères du pénal routier, le taux de succès n’est même pas de 1%.
Pour essayer de contraindre le juge administratif, il faut avoir une vraie chance. Je pense qu’on va perdre de dossier devant le tribunal administratif, et devoir aller en croisade devant le Conseil d’Etat. Il va falloir monter d’un crédo pour la défense d’un intérêt qui nous concerne tous, dit-il.
Comment ça se passe dans les pays voisins ?
Ils appliquent des seuils qui vont jusqu’à 5 ou 6 nanogrammes, là où le produit qui a été consommé commence à avoir un impact sur les réflexes. A souligner qu’à ces seuils, l’impact n’a rien à voir en termes de facteurs de risques comme avec l’alcool. En effet, à 5 nanogrammes, le danger comportemental est environ 5 fois en-dessous par rapport à deux verres d’alcool.
Penses-tu faire action collective si vous réussissez à regrouper un maximum de personnes ?
Me Pizarro appelle tous les auditeurs concernés par ce problème, consommateurs lambda et entrepreneurs, à se rapprocher de l’UPCBD. Un interlocuteur peut par exemple vous conseiller un avocat dans votre localité. Vous pouvez également écrire sur le site, d’où la nécessité d’adhérer à l’Union. De toute manière, adhérer, c’est aussi bénéficier des ressources collectives. Par ailleurs, la maître est en train de se rapprocher de ses confères partout en France, de manière à centraliser le combat.
On est dans un truc où il y a à nouveau un combat collectif à mener. On commence à avoir des arguments susceptibles de faire vaciller 10 ans de jurisprudence répressive en matière routière, sur une situation complètement ubuesque, dixit-il.
Production personnelle de CBD à domicile: a-t’on le droit? Y a-t-il des risques?

Me Pizarro a deux réponses à cette question. Voici celle de l’avocat pénaliste qui veut éviter aux gens les ennuis.
Aujourd’hui, la culture, hors les conditions qui sont définies dans l’arrêté qui est suspendu, est réservée à une certaine partie de la population, qui sont des agriculteurs actifs, et avec certaines garanties. Ça, c’est le cadre légal actuel de la production de CBD. Mais, ce cadre reste incertain parce que le texte qui le prévoit va être réexaminé, et il est d’ores déjà suspendu.
Ensuite, si on prend l’exemple d’une personne qui achète des graines de CBD, et les plante chez lui pour sa consommation personnelle, c’est théoriquement de la production de stupéfiant. Il s’agit de l’infraction la plus durement réprimée par le côté pénal, où on peut en prendre pour 30 ans. Mais en réalité, le parquet de magistrats ne sait pas exactement comment qualifier les choses juridiquement en présence de deux pieds de cannabis stupéfiants. En effet, ils déclassent l’infraction en détention de stupéfiant, passible de 10 ans d’emprisonnement. Le maître ajoute:
Même moi, là-dessus, j’ai un problème intellectuel parce qu’en principe, la détention, c’est une détention en vue de vendre. A mon sens, la vraie qualification ce serait plus en vue de l’usage, donc 1 an d’emprisonnement. Personnellement, je n’ai pas encore expérimenté cette situation, mais elle va sans nul doute se produire. Il est difficile de dire qu’un produit en dessous de 1% de THC, mais au-dessus de 0,3%, soit un stupéfiant. Je suis certain qu’avec un dossier comme ça, il y aurait beaucoup à plaider, et ce sera un débat passionnant qui peut être gagné. Avec un bon avocat, il est possible de passer en détention de stup pour usage.
Les graines issues de variétés certifiées en Europe ne sont pas faites pour le textile et non du CBD. Que faire?
Si on prend un peu de recul, à la base, le chanvre, qui est un produit de consommation, n’a pas du tout la destination qu’on lui donne actuellement. Ce régime dérogatoire du chanvre industriel et commercial non stupéfiant existe parce que c’était utile pour traiter les cordages et les briques de chanvre, etc. C’est une industrie très ancienne et très bien implantée. Il y a un décalage complet entre ce qu’on a autorisé et l’usage que le consommateur est en droit d’attendre. C’est justement pour ça que se pose la question de l’autorisation de nouvelles variétés, qui sont attendues avec le standard de consommation CBD produit courant. Selon Me Pizarro, il faut que les producteurs se regroupent et fassent du lobbying pour faire inscrire des variétés qui leurs correspondent au catalogue européen. Il poursuit:
C’est vrai que le catalogue n’est pas satisfaisant. Le cannabis est une plante. Il est difficile, en fonction du climat et du terrain, de contrôler cette plante. On parle d’un taux à 0,3% de THC. Le problème c’est qu’avec des variétés à forte teneur en CBD, on a plus de THC. Pour redescendre à 0,3%, on est obligé de washer. Du coup, on transforme un produit naturel, auquel on enlève le potentiel bienfait terpène et CBD qu’il possède.
La Suisse est presque à 1% de THC depuis longtemps. Qu’est-ce que tu en penses?
Le constat est le même, c’est-à-dire aberrant. En effet, on nous impose un seuil qui ne correspond absolument à rien, dans le but de protéger le consommateur. Mais en fait, on est en train de l’exposer à un danger beaucoup plus grand, le trafic. La réalité est qu’en deçà de 1% de THC, le produit n’est pas susceptible de produire une ivresse cannabique. Il faut donc se demander quelle est la définition claire de “stupéfiant”?
D’ailleurs, Me Pizarro est allé devant le conseil constitutionnel avec Nicolas Hacher et Yann Biziou. Voici la définition matérielle de stupéfiant par le conseil constitutionnel.
Il est dit un stupéfiant, quelque chose qui présente un risque pour la santé, et une substance qui est susceptible de produire une accoutumance.
Pour le maître, des fleurs de CBD à 0,6 de THC ne répondent pas à cette définition. Il cite :
Aujourd’hui, on a une puissance de terroir comme dans le vin. On devrait avoir une production de CBD haut de gamme, et donner un revenu supplémentaire aux agriculteurs. Malheureusement, nous sommes restés bloqués dans cet ancien monde. Avec les confrères, l’UPCBD, NORML France et les associations, les usagers, les acteurs de cette entreprise, nous sommes des éléments moteurs du processus pour faire bouger le marché. Encore une fois, d’un point de vue économique, l’Etat est complètement à côté de la plaque. Nos voisins européens comme la Suisse ou la Tchéquie ont bougé très vite. Que va-t-il se passer lorsque des produits supérieurs à 0,6% qui sont légaux dans ces pays vont arriver en France? Mais on va se retrouver avec un Kanavape bis! L’avocat que je suis espère plaider ce dossier-là devant les tribunaux français.
Quels sont les termes qu’on peut dire et ne pas dire sur le CBD?
Quand une fenêtre de tir se ferme pour le pouvoir public, il en ouvre d’autres. Au début, l’angle des problèmes était la qualification de stupéfiant. Aujourd’hui que cet angle est fermé, on part sur les problèmes annexes. C’est plus facile de poursuivre des gens pour incitation à l’usage du cannabis ou encore avec une régulation de la TVA. Pour rappel, c’est 5,5% sur les fleurs, mais il y a un débat qui veut augmenter à 20%. Il faut aussi faire attention à la présentation du produit pour qu’il ne fasse pas médicament dans l’esprit du consommateur.
Mon premier conseil est de vous entourer et de prendre un avocat qui sache ce qu’il fait. Soumettez-lui votre projet par avance si vous faites un site internet ou une réclamation de produits. Demandez-lui ce que vous pouvez mettre et ne pas mettre. Attention aux allégations de santé. C’est tentant de faire des éloges d’un produit, sauf que vous n’êtes ni médecin ni pharmacien.
CBD et allégation de santé, quels sont les risques?
Par exemple, dire que le CBD fait mieux dormir et aide à se relaxer n’est pas une allégation santé. En revanche, dire que ça aide à lutter contre l’insomnie, c’en est une. En effet, il s’agit d’une pathologie inscrite dans le vocabulaire médical. Les risques dépendent de la gestion des flux, car il ne peut y avoir un policier derrière chaque habitant. Dans 99% des cas, seul 1% fera l’objet de poursuite. Cette personne-là sera la victime expiatoire.
Suivre les règles est important car il y a un enjeu de sécurité publique derrière. En faisant les choses correctement, nous nous donnons des moyens de nous protéger.
Comment vois-tu le marché du CBD sur le long terme?
Selon Me Pizarro, il y a une espèce de morosité ambiante sur le marché. Nous sommes loin des débuts où tout était facile et les boutiques fleurissaient de partout. C’est comme pour tous les produits qui ne peuvent durer éternellement. Passé l’effet de mode, le marché arrive à maturité, puis il faut ensuite structurer. Fini le temps où on pouvait se construire un empire du jour au lendemain. Aujourd’hui, il y a des acteurs de poids, les prix ont été tirés à la baisse, et le consommateur est toujours à l’affût de nouveautés. C’est sans compter les problèmes comme celui de la conduite sous influence de stupéfiants. Quoi qu’il en soit, la filière reste debout, les boutiques tournent, et l’intérêt pour le CBD reste grand. Il faut voir le CBD dans une perspective à long terme. Peut-être permettra-t-il de faire la transition vers un changement des mentalités, ou fera-t-il émerger une filière économique nouvelle.
Je vois plus ça comme une transformation vers l’économie du chanvre, dit-il.
Nous sommes un pays très répressif sur le THC. Qu’ en penses-tu?
Nous avons déclaré une guerre contre les drogues il y a 50 ans, guerre que nous avons toujours perdue. Par conséquent, nous faisons face à des problèmes bien plus néfastes comme les bandes organisées, les règlements de compte, résultats de la prohibition. Pour moi, quand il y a un gars qui meurt, l’Etat porte une part de responsabilité”, dixit Me Pizarro.
On dit toujours que le cannabis conduit les jeunes à se lancer dans les drogues dures. Cette idée s’est révélée absolument fausse. Il explique :
C’est une théorie de l’escalier qui considère que la toxicomanie commence avec la drogue douce, ensuite le pétard, la cocaïne, l’héroïne, ainsi de suite. C’est absolument faux! Toute la littérature anglo-saxonne sur le sujet montre que les classes de consommation sont quasiment imperméables. On a tous tiré sur un pétard, certains ont continué et d’autres pas. C’est monstrueux en termes de chiffre le nombre de français qui ont déjà fumé. S’il suffit d’un pétard pour détruire sa vie, la moitié de la population serait détruite.
Aujourd’hui, tu es pour la légalisation ou pour la dépénalisation?

Tout d’abord, essayons d’expliquer la différence entre les deux. Dans le cas de la dépénalisation, le cannabis n’est ni régulé, ni réprimé. L’Etat est donc dans une position de neutralité bienveillante. Dans l’autre cas, on définit tout dans une règle de corpus juridique.
Maintenant, sous quel modèle peut-on parler de légalisation et de dépénalisation? D’un côté, il y a le modèle libéral dans lequel l’Etat intervient de manière très réservée. L’individu est le meilleur garant des ses intérêts personnels et collectifs,et les vices privés sont des vertus publiques. Par conséquent, s’il veut consommer du cannabis, il peut le planter chez lui et faire comme il veut.
D’un autre côté, il y a le modèle étatisé, où on considère que nous sommes sur quelque chose de sensible, avec un enjeu de santé publique derrière. Ici, le meilleur garant de ses intérêts est l’Etat. Ce dernier va donc instaurer un monopole, lancer des appels d’offres, mettre en place un schéma de distribution plus ou moins contrôlé, etc.
A côté de ces deux grands modèles, il y a les modèles composites intermédiaires. On peut par exemple laisser une marge aux individus pour leur propre production, en même temps avoir un schéma de distribution très organisé.
Voici la position de notre invité sur le sujet :
Par conviction idéologique, et je m’exprime en tant que citoyen, j’ai toujours été partisan d’un modèle libéral. J’estime que l’Etat n’a pas son mot à dire dans des choses qui relèvent de la sphère privée. Néanmoins, nous sommes en France. Comme je l’ai évoqué au début de notre discussion, la France est un modèle très étatiste et centralisé. Je ne pense pas qu’on puisse basculer du côté du modèle libéral.
Penses-tu que ce modèle pourra être un jour adapté en France?
Selon Me Pizarro, il faudrait dans un premier temps résoudre la question des agréments. Il ne faut pas en faire une exclusivité pour les entreprises médicales et les grands groupes. Il faut effectivement protéger les producteurs, car nous aurons besoin d’eux sur d’autres marchés.
J’espère le voir de ma vie, dit-il. La vision du cannabis a beaucoup évolué, d’autant plus que nous ne pouvons rester isolés à contre-courant de ce qui se passe ailleurs. La meilleure solution est d’attaquer le problème de manière réaliste et pragmatique.
Le HHC, quelle est ta position là-dessus?
Le HHC est composé de cyclohexylphénol, qui est listé comme stupéfiant, et d’autres molécules périphériques qui ne le sont pas. La question est de savoir si le produit vendu comme étant du HHC est réellement du HHC. Dans tous les cas, vendre un produit sous cette appellation reste une offre de stupéfiant et c’est indéfendable. Aujourd’hui, il est difficile de se positionner sur une chose aussi ambigüe. C’est l’interprétation qui fait la règle. Comment cela va être interprété par le juge? A ma connaissance, il n’y a pas encore eu de poursuite pour vente de HHC en France, mais ça va arriver. Si j’ai un conseil à donner sur la vente de cyclohexylphénol, je vous dirai de ne pas le faire, car vous allez au devant de sérieux problèmes.
Un dernier message important pour la communauté
Que ce soit les militants de la première heure, la nouvelle génération d’entrepreneurs, les consommateurs toute génération confondue, quel que soit l’usage que vous en faites du CBD, nous sommes tous dans le même bâteau. A mon sens, contre toute attente, on est aujourd’hui face à un pouvoir public qui fait une résistance folle sur des questions relativement simples. Si on vous suspend votre permis pour consommation de CBD, quelque chose de plus grand est en train de se jouer à travers vous. Il faut jouer sa partition pour servir l’intérêt collectif. C’est une occasion de faire avancer le débat comme l’ont fait d’autres avant vous, à l’instar de Sébastien Béguerie. Demain, quelqu’un aura perdu son permis, mais dans quelques mois, il aura permis de régler un problème qui semblait insoluble. Restez soudés, ayez conscience de la responsabilité qui est la vôtre.
Comment te contacter?
“Je suis à la disposition de la communauté mais je conseille toujours de passer par le réflexe collectif. Affiliez-vous au syndicat quel qu’il soit, tournez-vous vers une communauté ressource d’activistes comme :
On le doit aussi à la presse spécialisée dans le secteur, comme Parlons Canna. C’est important que vous continuez à parler du chanvre, comme c’est important que nous continuons à plaider”.